Ça s’est passé comme ça
Autoportraits à l’encre
@DR Cie abc
Exposition
Du vendredi 11 octobre au samedi 30 novembre 2019 à la MC 93 de Bobigny.
Exposition réalisée par Catherine Boskowitz, Estelle Lesage et les femmes de l’Association Loisirs Tous Azimuts, dans le cadre de la résidence de Catherine Boskowitz à la MC93 de Bobigny.
Elles sont là, elles nous attendent. Plusieurs femmes réunies par Sok-Ay dans le petit local de Loisirs Tout Azimut ont apporté à ma demande des photos soustraites à leurs albums familiaux. Les images datent des années 80. Certaines sont très belles et paraissent d’un autre temps, celui où les selfies n’existaient pas, où l’on posait de manière différente, où chaque photo prise était précieuse et l’instant, choisi. À partir de ces photos, elles vont se mettre à graver et à raconter…
Elles retracent leur arrivée à Bobigny à travers l’encre de leurs autoportraits et les paroles de leurs récits.
Chacune raconte son trajet, le voyage intime qui l’a amenée à être ce qu’elle est aujourd’hui dans cette ville qu’elle ne connaissait pas avant d’y vivre. Pour certaines, elles débarquaient alors au coeur d’un pays qui leur était étranger, la France.
A travers cette exposition, une cartographie se dessine par petits points sensibles entre les mots et les gravures, qui relie le Cambodge, l’Algérie, la Champagne-Ardenne, le Poitou, Mazamet, Casablanca à Bobigny.
Catherine Boskowitz.
L’exposition est composée de
– Autoportraits à partir de photos, 10 tirages à l’encre sur papier dimensions 21x29cm / 10 plaques gravées
– 5 reproductions des autoportraits à l’encre – tirage en grand format sur adhésif
– 5 extraits des textes sont exposés et l’intégralité de ces récits sont disponibles à la lecture au sein de l’exposition, en version brochée.
Conception : Catherine Boskowitz et Estelle Lesage (Cie abc).
Mise en espace : Matthias Tronqual et Marion Sylvain (Mc 93 – Bobigny).
Production : MC93 – Maison de la Culture de la Seine Saint Denis.
Gravure sur gomme : tirage papier et plaque gravée
Extrait du texte 1
À la maison on avait une mère qui était quand même très colérique. Ce côté colérique ne nous aidait pas à avoir la sérénité pour l’apprentissage du français.
Comment expliquer ses colères ? C’était le besoin de maîtriser cet ensemble qu’elle ne maîtrisait pas du tout. Élever huit enfants dans un pays qu’elle ne maîtrise pas, qu’elle ne connaît pas, avec la peur de ne pas pouvoir s’en sortir. Avec toutes ces contraintes, je peux comprendre aujourd’hui. Mais quand tu es petite, tu ne comprends pas forcément tout. Tu vois une mère qui est terrifiante. Qui travaille dur. Avec un père qu’on ne voit quasiment jamais parce qu’il travaille à l’extérieur. Les enfants sont un peu livrés à eux-mêmes. Tu ne dois absolument pas faire de bruit. Parce qu’au moindre bruit c’était la colère qui montait. Et on se tenait à carreaux.
Extrait du texte 2
J’ai le souvenir dans les années 80, on avait des jeunes tous les soirs dans la cage d’escalier qui dérangeaient. On était au rez-de-chaussée alors on les entendait. Il y avait du shit, des filles, des garçons, ça chahutait ! Je ne sais pas après ce qu’ils sont devenus et pourquoi ils sont partis Et notre mur était tagué. C’est là où j’ai appris les premiers gros mots. Il y avait un mot que j’ai regardé longtemps qui était inscrit. Tous les jours je passais devant et c’était le mot « Salope ». À ce moment-là je passais devant et je me disais : « Qu’est-ce que c’est que ce mot ? » alors que maintenant le gamin de moins de trois ans il le sait déjà ! Oui j’ai le souvenir que notre couloir était tagué, il y avait des crachats par terre. On baissait la tête pour rentrer. On ne regardait pas.
Après je crois qu’il y a eu des travaux et je ne sais pas pourquoi le groupe s’est dispersé. Ils ont trouvé sans doute un autre lieu.
Extrait du texte 3
J’ai été très marquée par le féminisme. Je suis de 1952. Je me disais : « Je suis féministe, je vais m’en sortir seule », j’ai vécu comme ça. Maintenant, avec le recul, je trouve ça idiot. « Je n’ai pas besoin d’un homme pour vivre », à l’époque c’était ça : « Je vais me débrouiller toute seule », j’étais vraiment dans le « Je vais y arriver !».
Aujourd’hui je serais beaucoup moins excessive dans mes jugements. Par exemple je dirais : « Un homme avec moi pourquoi pas ? ». J’ai eu plein de copains mais non, je l’ai pas fait. Peut-être qu’aujourd’hui, j’aurais accepté de vivre autrement. Peut-être que j’aurais quelqu’un maintenant, j’aurais accepté de vivre avec quelqu’un… Mais peut-être que non parce que je suis très indépendante. Je ne sais pas trop.
Le machisme, je ne le supporte pas.
Extrait du texte 4
Pendant des jours, j’avais faim, j’avais faim. Je n’ai pas mangé, on avait froid, moi et ma fille. Chez mon beau-père où j’habitais à Bobigny, j’avais pas le droit de me doucher mais je me douchais en cachette parce qu’il me donnait deux heures le matin : il partait à 7h du matin, il allait à la Courneuve pour faire ce qu’il avait à faire. Mais à 10h, il fallait que je sorte de la maison parce que « monsieur » rentrait. Et quand il était à la maison, il fallait que personne ne le dérange. Il restait tout seul jusqu’au soir, jusqu’à ce que son frère arrive vers 22h en rentrant du boulot. Et moi, je devais être à l’extérieur toute la journée. J’allais dans les jardins et dans les centres commerciaux. Je n’avais pas le droit de rentrer avant 22 heures.
Je me cachais tous les jours dans les centres commerciaux. J’avais une baguette à la main avec une bouteille d’eau. Je n’oublierai jamais ça. Cela duré deux ans.
Extrait du texte 5
Je suis arrivée en France, j’avais 27 ans. Je suis née le 3 octobre 1947. J’ai été mariée à l’âge de 13 ans.
J’étais dans un village dans la montagne. Et c’était très loin de tout et il fallait y aller à pied. Il y avait un tas de monde qui descendait, qui montait, et des femmes un peu âgées. Mais on ne descendait pas quand on était jeune. C’était en Kabylie, la petite Kabylie. Tous mes enfants sont nés en Algérie.
Après j’ai été un petit peu à l’école arabe avec les filles du village mais j’étais pas vraiment maline pour apprendre l’arabe. C’était dur de parler arabe. Je sais parler kabyle, je parlais kabyle. Je ne suis pas arabe. Je ne parlais pas français, rien, zéro.
J’étais chez mon beau-frère et je ne m’entendais pas bien avec sa femme. Elle était méchante. Et moi comme j’étais orpheline, je n’ai pas appris grand chose, j’étais un peu jeune, un peu bébête. Mon mari était en France. Mon mari a été pris par l’armée et ils l’ont emmené en France.
Les étapes du travail avec les femmes de l’Association Loisirs Tous Azimuts :